Les Dangers de l’Instactivisme

Les valeurs morales sont-elles devenues les nouvelles montres de luxe ?

Yann Costa
19 min readOct 4, 2020

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Cet article n’a pour vocation de prendre position pour aucune idéologie. Je m’appuie à plusieurs reprises sur le récentes manifestations #BlackLivesMatter comme fil rouge afin d’illustrer mes propos. Le but ici n’est pas de parler du fond, mais de la forme. Il s’agit de réfléchir au rapport de chacun d’entre nous avec les mouvements sociaux de nos jours.

Internet et les smartphones rendent tous les aspects de notre vie plus confortables. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour faire apparaître en moins de cinq minutes un chauffeur privé qui t’amène où tu veux, ou la cuisine de ton choix délivrée soigneusement à ta porte. Et ce, à n’importe quelle heure. Magique.

En cliquant moins de dix fois sur un écran, tu peux organiser un voyage à l’autre bout du monde, apprendre un instrument de musique, louer un appartement, trouver l’amour, ou regarder ton film préféré sans attendre. Le web te donne accès à tout le savoir accumulé dans l’Histoire de l’humanité en un temps record. C’est rapide. C’est facile. C’est pratique. C’est convenient. Bref, c’est génial.

De la même façon, Instagram a rendu la protestation plus facile que jamais. Soudainement, nous sommes tous à un clic d’être des héros du changement. Des artisans de la révolution. Il suffit de partager une story.

S’adonner à une cause avant l’arrivée des réseaux sociaux n’était que pur sacrifice. Militer au vingtième siècle, c’était sacrifier son temps, son énergie, son argent, et parfois même mettre sa vie en péril au bénéfice de la justice sociale. Et en retour ? Niente. Nada. Nothing. 没有. Si ce n’est assumer une certaine responsabilité, et avoir l’espoir qu’un jour peut-être, le monde serait un peu plus juste.

Il arrive que ce soit encore le cas aujourd’hui. Mais je veux discuter dans cet article d’un phénomène que nous allons appeler “instactivisme”. Parce que ça sonne bien et que ça a l’air d’un nouveau concept cool. Alors qu’en réalité, c’est juste un mot-valise formé de “Instagram” et “activisme”, qui désigne la politisation des réseaux sociaux.

Contrairement au militantisme, l’instactivisme demande très peu de sacrifice pour un rendement immédiat. En partageant du contenu sur les réseaux sociaux, tu ne prends aucun risque. Tu ne t’engages pas. Tu ne sacrifies rien. Pourtant, la récompense est immédiate : les likes tombent, les commentaires positifs coulent à flots. Tu es officiellement quelqu’un bien. Tu fais partie de l’élite morale. A mesure que ton opinion est approuvée par la majorité, ton sentiment d’appartenance jubile.

Ah, ça fait du bien à l’ego, tout ça.

L’instactivisme s’est donc démocratisé. Sans cesse sur les réseaux sociaux, on s’indigne. On crie au scandale. On est choqué d’être choqué.

Pire encore : on glorifie l’indignation. L’outragé-e inspire le respect et la sympathie des autres. De cette façon, les réseaux sociaux se sont transformés en une sorte de spirale de lamentations infinie. Un lieu où tout un chacun peut évacuer ses frustrations au quotidien, puis en être félicité.

Sérieusement, je te mets au défi de publier une seule chose qui n’offense pas quelqu’un, quelque part sur internet. Il n’y a qu’à faire un petit tour sur Twitter pour s’en rendre vite compte.

Campagne de publicité pour le modèle RS4 d’Audi (voiture familiale).

Tu ne rêves pas : la marque de véhicules Audi a été contrainte de retirer cette publicité, ainsi que de présenter ses excuses à des internautes qui voyaient un caractère sexuel dans la petite fille qui mange une banane.

Bande de dégénérés.

Mais ça tombe bien qu’on parle de voitures de sport, car elles vont m’aider à répondre à la question suivante :

Pourquoi cette culture de l’indignation ?

Après avoir fait quelques recherches, j’ai trouvé que cette tendance s’explique en grande partie par 1) la vertu ostentatoire, 2) notre incapacité à remettre en question nos convictions, et 3) notre quête de sens.

1.

Depuis la nuit des temps, l’être humain éprouve le besoin d’affirmer son identité à travers des signaux visuels. Pense à l’Amérindien, coiffé de plumes différentes selon son rôle dans la tribu. L’avocat moderne, vêtu d'un costume-cravate parfaitement taillé, ou les quinze kilos de bijoux suspendus au cou de ton rappeur préféré.

Même dans notre imaginaire le plus fou, nous attribuons automatiquement des symboles aux personnages que nous créons. Nous arborons les dieux grecs d’attributs. Apollon exhibe sa lyre alors qu’Athéna présente son bouclier. James Bond conduit une Aston Martin, tandis qu’Albus Dumbledore affiche une longue barbe blanche.

Ces signaux sont ancrés en nous. Ils nous servent de canal pour dévoiler qui nous sommes, à travers les valeurs que nous représentons.

Il n’y a rien de mal à signaler son identité en soi. Par contre, ça devient un problème lorsque tu t’appropries des symboles que tu n’incarnes en réalité pas, pour ton propre intérêt personnel.

C’est le mec qui s’achète une voiture de sport qu’il ne peut pas s’offrir, uniquement dans le but de s’octroyer les mérites d’une classe à laquelle il n’appartient pas. C’est la personne qui instrumentalise le mariage, avec pour seul objectif d’accéder à certains privilèges.

Mais c’est aussi celle qui participe à un mouvement social pour s’acheter une bonne conscience, alors qu’elle ne sacrifie ni son temps, ni son travail, ni son argent au profit d’un progrès substantiel. Cette attitude est parfois qualifiée dans les médias d’activisme performatif (performative allyship). Et oui, l’instactivme est si populaire qu’il a déjà un nom officiel.

De la même façon qu’on s’achète des Rolex, des sacs Gucci et des Lamborghini pour signaler sa compétence ou son succès, on s’associe aujourd’hui à des mouvements sociaux pour signaler sa supériorité morale. Ce phénomène est plus connu sous le nom de vertu ostentatoire (virtue signalling), ou dans la langue de Molière — littéralement : tartufferie.

2.

Au fil des années, les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter et Instagram ont accumulé toujours plus d’informations à notre sujet. Ainsi, plus le temps passe, plus leurs algorithmes deviennent performants. Lorsqu’on les applique au domaine du marketing, ces algorithmes sont fantastiques : ils permettent aux annonceurs de te présenter le produit dont tu as besoin, au bon moment, avec un niveau de précision infaillible.

Mais ces algorithmes n’ont jamais entendu parler d’éthique. Et contrairement à nous, ils n’agissent pas en fonction de doubles standards. Ils opèrent exactement de la même façon, peu importe le contenu concerné. Cela implique que les réseaux sociaux ne te vendent pas seulement les produits qui te plaisent, mais aussi et surtout les idées qui t’attirent.

Supposant que tu formes tes croyances en fonction de ce que tu lis sur internet, les réseaux sociaux te bercent éternellement dans les convictions que tu portes déjà dans ton coeur, les renforçant ainsi toujours plus. Il y a chaque fois davantage de contenu en ligne pour réaffirmer que tu as raison. Que tu as tout compris, et que tous ceux qui te contredisent sont une bande de cons. C’est ce qu’Eli Pariser, militant américain, appelle la bulle de filtres.

T’arrive-t-il de te demander comment se fait-il que les gens sont aveugles au point de ne pas voir ce que tu vois ? Tu as tout à fait raison parce qu’ils ne voient littéralement pas la même chose que toi.

Imagine si ton kiosque de quartier imprimait chaque jour différents journaux faits sur mesure, et les sélectionnait en fonction des préférences de ses visiteurs, qu’il connait depuis des années. Ceci dans le but que chaque journal plaise le plus possible à chaque acheteur. Tu dirais certainement que c’est une menace pour la vérité, voire pour la stabilité de ton quartier, n’est-ce pas ? Et bien, c’est exactement ce que font les réseaux sociaux aujourd’hui, à l’échelle mondiale. Et pas de bol, il s’agit de la source d’informations numéro un parmi les jeunes générations.

“Chacun de nous accepte la réalité du monde qui nous est présenté.” — Christof, The Truman Show

De plus, les degrés de séparation entre toi et les gens qui ne sont pas d’accord avec toi se sont démultipliés avec l’arrivée des réseaux sociaux.

Avant, lorsque tu n’étais pas d’accord avec Marc, tu le voyais là, en chair et en os devant toi. Tu interprétais chaque expression faciale et chaque mouvement. Tout du moins, tu pouvais entendre les variations dans son ton de voix. Tu étais sûrement capable de constater que son désaccord n’était pas forcément mal intentionné, et que ce n’était peut-être pas un individu horriblement perverti. Au lieu de ça, il s’agissait juste d’une autre personne qui voyait probablement le monde un peu différemment de toi.

Aujourd’hui, Marc n’est plus qu’un con dans une petite case à côté d’une section « commentaires » plus petite que ton pouce. Tu vois déjà à peine sa photo, encore moins son langage corporel et sa voix. Tu ne le perçois pas comme un être humain digne de respect, mais juste des caractères sur fond blanc. Tu as donc tendance à transformer tous les Marc en une vulgaire caricature qu’il faut absolument éradiquer.

Par conséquent, on devient toujours moins tolérant vis-à-vis des opinions opposées. On développe une allergie à la confrontation. Le moindre contre-argument devient un menace frontale. On est tellement figés dans nos identités que toute remise en question est perçue comme une attaque personnelle.

La gauche veut relever les impôts pour financer un congé paternité ? «ON VIT DANS UN PAYS COMMUNISTE ! STALINE VA BIENTÔT FAIRE SON GRAND RETOUR !» Un professeur s’oppose à une loi pour l’égalité salariale entre hommes et femmes ? «ENCORE UN FASCITE NÉONAZI D’EXTRÊME DROITE ISSU DU PATRIARCAT QUI VEUT DOMINER LE MONDE !»

Ahlala, quel con, ce Marc.

3.

Demande à n’importe quel-le chef-fe d’entreprise traditionnelle de te mentionner la plus grande difficulté qu’ils rencontrent avec notre génération de travailleurs. Je mets ma main à couper que la majorité d’entre eux évoquera les éléments suivants :

  • Le manque de motivation
  • Un faible niveau d’engagement
  • L’absence de loyauté

Mais nous ne sommes pas à blâmer. Ce sont les dirigeants qui doivent s’adapter à notre plus grande quête : le sens du travail. Nous y accordons tellement d’importance que les sociologues vont jusqu’à nous surnommer la génération WHY. « Pourquoi » en anglais, fait référence à la lettre Y, qui englobe l’ensemble des personnes nées entre le début des années 1980 et la fin des années 1990.

Lors de l’une de ses nombreuses conférences, Simon Sinek décrit le Golden Circle, un modèle marketing stipulant que les entreprises ne doivent pas chercher à nous vendre un produit, mais des valeurs, une mission, une histoire. Selon le célèbre auteur britannique, si Apple est devenue l’entreprise la plus prospère de l’Histoire, ce n’est pas seulement parce qu’elle fabrique des produits de haute qualité. Non, c’est aussi et surtout parce qu’elle est maître dans l’art du storytelling.

Quand tu achètes un Macbook, tu n’achètes pas juste un ordinateur. Tu achètes avec lui tout un ensemble de symboles liés à la révolution technologique. Un style de vie. Apple te vend la possibilité de penser différemment. En achetant ses produits, tu deviens un innovateur.

Dans un monde où les entreprises peinent toujours plus à donner du sens au travail de leurs employés, les jeunes s’ennuient et cherchent ce sens ailleurs. Les révoltes sociales sont pourvues d’une forte capacité à donner du sens à notre vie. D’autant plus lorsqu’elles procurent des émotions fortes. Lorsqu’elles sont acceptées au sein de notre groupe, et renforcées par leur popularité sur les réseaux sociaux. Selon moi, ceci explique en partie la vitesse à laquelle les instactivistes consomment l’information de nos jours. Parfois même au détriment du bon sens.

Repense juste au scénario de ce début d’année 2020. Durant le mois d’avril, les passions se déchaînaient autour de la pandémie de COVID-19. La masse populaire se félicitait de son civisme en brandissant fièrement le hashtag #StayHome (reste chez toi).

Toute personne s’opposant au confinement se voyait sévèrement réprimandée. Le traitement réservé à celles qui réclamaient leur droit à la liberté était pour le moins unilatéral, et pour ainsi dire, peu cordial. Tous les soirs à 21 heures, nous applaudissions depuis chez nous le personnel médical aux fronts. Une solidarité émouvante.

Mais quelques semaines plus tard, suite au meurtre de George Floyd, ces mêmes personnes se rassemblaient brusquement par centaines, milliers, voire dizaine de milliers dans les rues, créant ainsi de nouveaux potentiels foyers de contagion. Bien sûr que les vies noires comptent, mais qu’en est-il de nos aînés ? Quid de notre si cher personnel médical que l’on applaudissait collectivement encore hier ? C’était comme si le méchant virus s’était soudainement évaporé de nos rues.

Ce phénomène participe à démontrer que les instactivistes ont besoin de ressentir quelque chose en permanence. Peu importe la cause, tant qu’elle leur fait se sentir importants.

Tant qu’elle comble le vide.

Il existe bien évidemment des activistes dédiés à la cause, pour qui le momentum Floyd était plus important que la pandémie. C’est tout à leur honneur. D’ailleurs, en n’intervenant pas face à ces rassemblements illégaux, le gouvernement suisse a lui aussi reconnu l’importance du mouvement.

Mais les instactivistes ne sont pas dédiés à la cause en soi. Non, le hashtag #StayHome avait juste fini par s’épuiser après toutes ces semaines. Il leur fallait de nouvelles émotions fortes. Un hashtag actualisé sur lequel se précipiter. Une nouvelle raison d’évacuer toute la frustration accumulée pendant plusieurs mois de confinement.

#BlackLivesMatter est tombé à pic. Pour preuve : trois semaines après le meurtre de George Floyd, la majorité d’entre eux était déjà passée à autre chose. La plupart des marques ayant associé leur logo à la cause sont rapidement revenues à leur branding originel.

Il était temps de passer à autre chose, car ils s’étaient déjà acheté une bonne conscience. Ils en avaient déjà tiré tout ce qu’ils pouvaient.

Après tout, tu pourrais te dire qu’au fond, ce n’est pas très grave. Que même s’il n’est pas tout à fait authentique, l’instactivisme contribue au moins à mettre en lumière les problèmes sociaux, et faire ainsi progresser la société.

Plus récemment, le hashtag #FreeUyghurs a permis d’offrir une visibilité hors normes au mouvement de soutien envers le peuple ouïghour. Et par la même occasion, d’éveiller les consciences au sujet de ce problème. Voire dans une certaine mesure, obliger les politiques à s’y intéresser de plus près.

On touche ici à l’essence des réseaux sociaux : ils donnent au peuple le pouvoir d’être entendu. Cette extraordinaire qualité est indéniable. Seulement, cet unique bénéfice de l’instactivisme s’accompagne de nombreuses dérives —dont on parle bien moins souvent.

Malgré qu’il soit très attractif pour les raisons expliquées ci-dessus, l’instactivisme n’a aucune valoir en soi. L’indignation qui le caractérise est complètement inutile, si ce n’est qu’elle sert de signal pour l’action. Non seulement il contribue faiblement au progrès des causes qu’il prétend défendre. Mais en plus, il leur porte préjudice. Tout compte fait, il cause peut-être même plus de tort que de bien à l’ensemble de la société.

L’instactivisme nuit aux causes qu’il prétend défendre.

Parce que 1) il te donne l’impression d’avoir contribué à la cause alors que tu n’as rien fait, et 2) tu es beaucoup plus enclin-e à tomber dans des trappes idéologiques, à terme dangereuses pour l’ensemble de la société.

1.

L’un de mes styles de lecture favori est le développement personnel.

Quand on lit du développement personnel, on a tendance à ressentir que notre vie s’améliore rien qu’en bouquinant. Si tu tombes sur une œuvre remarquable, il est très facile de croire que tes problèmes se résolvent instantanément, rien qu’en prenant conscience de certains concepts.

C’est faux.

En fait, il existe un effet pervers. Si tu n’es pas attentif-ve, tu risques de baser ton développement personnel uniquement sur des concepts théoriques. Puisque tu as le sentiment d’avoir compris quelque chose, tu crois que ton problème est réglé. Tu fermes ton livre et tu reprends les mêmes habitudes qu’auparavant.

Et devine ce qui se passe quand tu n’agis pas ? Rien. Tu es donc davantage conscient-e, mais tes problèmes n’ont pas bougé d’un poil. C’est encore pire que si tu ne l’avais pas lu. Car puisque tu crois que le boulot est terminé, tu n’essaies même plus d’agir.

Le même effet se produit chez les instactivistes. Ils ont le sentiment que le travail est terminé après avoir partagé du contenu lié à une cause sur les réseaux sociaux. Puisqu’ils croient avoir participé au mouvement, ils n’ont plus véritablement besoin d’agir. Résultat : on se retrouve avec une masse de militants digitaux, et un grand nombre de leaders qui ne se battent que de manière superficielle.

Ca peut même aller plus loin. Au pic des protestations liées à l’homicide de George Floyd, les instactivistes ont décidé de partager un carré noir en guise de soutien au mouvement #BlackLivesMatter (BLM) sur Instagram. Il se trouve que ce faisant, ils ont inondé le hashtag avec des photos de carrés noirs, rendant ainsi les informations importantes pour la cause quasi impossibles à diffuser. De ce fait, les instactivistes se sont emparés de l’entier de la visibilité du mouvement BLM. Ils croyaient contribuer à la cause, tout en étant en réalité une entrave à celle-ci.

Ceci est un bel exemple d’instrumentalisation d’un mouvement social à des fins de conscience et d’image. Si l’on s’intéresse sérieusement à la cause, il suffit d’un gramme de bon sens pour réaliser qu’il s’agit d’une mauvaise idée. Heureusement, des activistes avisés ont par la suite demandé aux internautes de publier le fameux carré noir avec un autre hashtag : #BlackOutTuesday.

2.

Si tu perçois la cause non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen pour te sentir bien, tu es beaucoup plus enclin-e à plonger dans des trappes idéologiques potentiellement dangereuses. Étant donné que la cause en soi t’importe moins que le bien-être qu’elle te procure, tu es sujet-te à partager toute information chargée en émotion, faisant ainsi abstraction de tout biais cognitif ou autres erreurs de raisonnement.

Au final, la vérité t’importe peu. Ce qui compte, c’est ce que tu ressens.

Les réseaux sociaux, en tant que source d’informations majeure, sont devenus un outil de propagande extrêmement puissant. Les contenus diffusés sont de moins en moins questionnés. Tant que ces derniers procurent une émotion forte et viennent réaffirmer tes opinions préexistantes, tu les partages, car ils te rassurent dans ta position initiale.

Non seulement cette attitude contribue à décrédibiliser le mouvement dont il est question, mais elle représente également un danger important pour la démocratie.

On ne fonde plus nos idées sur des faits, mais sur la popularité de celles-ci. Les faits ne servent plus qu’à confirmer des croyances. Les médias traditionnels, censés servir de garde-fous pour la fiabilité des informations, sont malheureusement victimes de ce schéma infernal. Dans la course au clic effrénée qu’exige le modèle d’affaires des réseaux sociaux, l’important n’est plus la qualité, mais la vitesse de l’information. Peu importe si c’est vrai. Ce qui compte, c’est de le dire avant les autres.

Quand l’émotion fait office d’arbitre, l’absurdité finit toujours par remporter la partie.

Plus l’information est choc, plus elle polarise, et plus on clique. Il n’y a plus grand monde pour démêler le vrai du faux. Rares sont les instactivistes qui font le long et pénible travail de recherche nécessaire à s’approcher de la vérité. Ceux qui le font ne sont pas entendus, car la vérité est souvent bien plus ennuyeuse que nos fantaisies. En effet, une étude du MIT a récemment démontré que sur Twitter, les fake news circulent six fois plus vite que les vraies informations.

“Ne lisez pas les journaux et vous serez mal informé. Lisez-les et vous serez désinformé”. — Mark Twain, Écrivain américain

Cette tendance à saper la vérité ne cesse de diviser nos sociétés. Une étude du Pew Research Center, ci-après, analyse l’écart idéologique entre le démocrate et le républicain médian entre 1994 et 2014 aux États-Unis. La vitesse à laquelle l’écart se creuse à partir de l’avènement des réseaux sociaux est impressionnante. Corrélation n’implique pas forcément causalité, et il y a sûrement de nombreux autres facteurs en jeu. Mais je te laisse t’en faire ta propre idée.

Source : https://www.pewresearch.org

Une chose est sûre : les politiques identitaires gagnent progressivement du terrain. A titre d’exemple, lors de sa campagne présidentielle, Joe Biden ne s’est pas gêné d’affirmer face à un citoyen afro-américain :

“Si vous avez du mal à décider entre voter pour moi ou Trump, alors vous n’êtes pas noir”.

L’assurance du candidat démocrate dans ses propos met en exergue une tendance claire: la démocratie américaine est tellement polarisée, qu’elle n’est pas plus question de choix individuels qu’elle n’est d’appartenance à des groupes ethniques.

Le danger avec les politiques identitaires, c’est que leurs partisans sont souvent prêts à sacrifier des valeurs démocratiques fondamentales — telles que la liberté individuelle— au nom d’intérêts de différents groupes sociaux. A l’image de la journaliste britannique Cathy Newman qui, lors d’un débat très médiatisé, lança à son invité :

“Pourquoi votre liberté d’expression devrait-elle prévaloir sur le droit d’une personne transgenre à ne pas être offensée ?”

Depuis quand “ne pas être offensé” est-il devenu un droit ?

Jordan Peterson face à Cathy Newman lors d’un débat particulièrement envenimé.

Les identités de groupe peuvent se former autour d’ethnies, de genres, de croyances, de religions ou d’appartenances culturelles. Suffisamment polarisés, ces groupes risquent ensuite de se transformer en camps adverses, dont le but est purement et simplement de supprimer l’idéologie ennemie. Une telle configuration de la société est désignée par le terme de “tribalisme”, dont on aperçoit déjà certaines conséquences. En effet, le discours nationaliste de Donald Trump n’est pas la cause, mais l’effet de l’instactivisme sur une majorité d’Américains très en colère.

Ce penchant vers les politiques identitaires se manifeste brillamment à travers un sophisme du faux dilemme dont j’ai souvent été témoin. Lors des protestations BLM en juin 2020, nombreux étaient les instactivistes qui s’exclamaient :

“Soit tu es avec nous. Soit tu es contre nous. Ton silence équivaut à ton consentement!”

Cette idée illustre parfaitement l’idéologie identitaire car elle ne donne d’autre choix que de prendre position et rejoindre un camp. En excluant toute autre possibilité, ce raisonnement instaure une fausse dichotomie : soit tu es BLM, soit tu es raciste.

De plus, en condamnant l’inaction au lieu d’encourager l’action, cette formulation illustre une motivation claire des instactivistes : ils prennent parti par peur du jugement des autres, et non par pure conviction. Ne te laisse surtout pas avoir par ce genre de conneries. En tant qu’individu dans une société libre, tu as le droit de choisir tes combats. Et tu n’as surtout pas à t’en justifier.

Voici une belle pente fatale qui démontre à quel point la prolifération de fausses informations peut être dangereuse pour la stabilité d’une société. Les campagnes de propagande nous l’ont tristement prouvé à travers les événements dramatiques du siècle passé, que je ne souhaite pas aborder dans cet article, en dépit de la loi de Godwin. S’agissant ici d’un sophisme ou non… Je t’en laisse libre interprétation.

L’existence de tous les mouvements mentionnés dans cet article, ainsi que leur continuité à travers le temps, ne fait que prouver leur importance. Si tout le monde était traité équitablement, ces protestations auraient disparu depuis longtemps. Leur légitimité est donc incontestable. Par contre, le rapport de certains individus à ces causes est excessivement contestable. La légitimité d’un tel mouvement est trop souvent polluée par une vague parallèle de victimisation.

Nombreux sont les instactivistes qui voient en ces causes louables l’opportunité de se déresponsabiliser de leurs propres peurs, limites et frustrations.

Il est bien plus facile de dénoncer le patriarcat que d’entreprendre des études d’ingénierie. Bien plus commode d’accuser l’industrie agro-alimentaire que de maintenir un mode de vie sain. Bien plus difficile d’avoir une carrière épanouie que de prétendre à réorganiser tout le système économique.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il est bien plus difficile de s’occuper de soi et ses proches que d'aspirer à sauver le monde sur Instagram.

Je ne parle pas ici de mauvaises intentions. Il s’agit la plupart du temps d’un processus inconscient. Le système économique dans lequel nous évoluons joue un rôle important là-dedans. A force de nous habituer à la satisfaction immédiate et à un confort sans précédent, beaucoup d’entre nous supposent inconsciemment qu’il existe un droit fondamental à ne pas souffrir. Ils croient que la norme consiste à ne pas rencontrer d’adversité au cours de nos vies. Qu’il est du rôle de la société de nous éviter toute épreuve douloureuse.

A travers les mouvements sociaux, les instactivistes se distraient de leurs problèmes personnels.

Certes, il est beaucoup plus commode de blâmer la société pour nos limitations, plutôt que d’en assumer l’entière responsabilité. Mais cette stratégie ne fonctionne qu’à court-terme. Elle ne saurait servir personne à long-terme. Pas même son auteur.

Avant de choisir la voie de l’indignation, je te propose donc de considérer la question suivante, et d’y répondre le plus sincèrement possible :

Pourquoi veux-tu militer ?

a) Si la réponse est

  • Avoir bonne conscience
  • Peur du jugement des autres
  • Te sentir bien ou moralement supérieur-e
  • Appartenir à un groupe
  • Associer ta personne à une image positive
  • Donner un sens à ta vie
  • Te déresponsabiliser de tes frustrations

Si j’étais toi, je réfléchirais deux fois avant de me lancer. Tu vas très probablement t’engager dans des passions tristes qui ne feront aucun bien ni à la société, ni à toi-même. Si ta motivation n’est pas intrinsèque, si la cause ne te tient pas réellement à cœur, alors tu n’auras pas la force de faire les sacrifices nécessaires à la servir.

Cherche d’abord le problème à sa racine, c’est-à-dire en toi. Comme nous l’a enseigné Socrate peu avant sa condamnation : aie soin de tes conflits intérieurs afin de pouvoir un jour te transformer en une puissance bénéfique pour les autres.

b) Si, au contraire, tu milites car

  • La cause est juste et importante à tes yeux
  • Tu es prêt-e à sacrifier ton confort pour cette cause
  • Tu as la possibilité d’apporter un soutien concret à ce mouvement social

Alors toutes les absurdités disparaîtront et les bonnes actions suivront. Il n’y a aucun mal à donner un sens à sa vie par des causes humanistes. Au contraire, ces mouvements ont absolument besoin de toi. S’engager au nom de valeurs morales est capable de procurer un sentiment d’accomplissement sans égal. La clé est de ne pas instrumentaliser celles-ci. Ne pas les utiliser comme un moyen pour te sentir bien, sans pour autant en assumer la responsabilité.

Pour que les valeurs morales aient vraiment un sens, il est inévitable de faire des sacrifices à leur égard. Il n’y a que de cette façon que tu peux réellement te rendre utile à la société. Il n’y a qu’ainsi qu’elles peuvent vraiment prendre un sens pour toi.

Il est essentiel de traiter ces causes comme une fin, car derrière elles se cachent des gens dans le besoin. C’est toi qui dois te sacrifier pour les causes, et non pas les causes quoi doivent te rendre service, de quelque façon que ce soit.

Choisis ton combat et assume une responsabilité.

Si vraiment une cause est importante à tes yeux, cesse dès aujourd’hui la revendication. Passe directement à la responsabilisation.

Matérialise dès maintenant ton activisme en intégrant une association. Sacrifie une partie de ta vie. Prends des risques. Donne de l’argent. Fais du bénévolat. Pars à la rencontre des gens dans le besoin. Engage-toi en politique.

La prise de responsabilité est essentielle. Beaucoup d’entre nous séparent systématiquement la protestation de la responsabilité. Ils passent leur temps à jeter des pierres et demander aux autres de réparer les pots cassés pour eux. Accepter l’indignation et rejeter la responsabilité est une forme d’hypocrisie. Cela revient à s’approprier uniquement la face agréable de l’activisme.

Cessons de demander aux adultes de changer les choses. Soyons les adultes. Les notions de droit et de devoir sont indissociables. Arrêtons de réclamer des droits sans arrêt, et commençons enfin à accomplir nos devoirs.

Même dans le cas d’injustices, se responsabiliser pour sa vie est toujours une attitude plus bénéfique que de rejeter la faute sur les autres. Pour une raison très simple : la prise de responsabilité te donne le pouvoir d’agir. A partir du moment où tu décides d’assumer tes responsabilités, tu passes de victime impuissante à moteur du changement.

A ce moment précis, tout devient possible.

Les How dare you?” éveilleront peut-être les consciences. Mais ce sont les “Will I dare?” qui feront toute la différence.

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Yann Costa

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